France / Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques (TICPE)
Le Tribunal judiciaire de Bobigny apporte un éclairage sur la notion d’ « utilisateur final » d’un aéronef.
Jugement rendu par la 9ème chambre
du tribunal judiciaire de Bobigny
le 5 septembre 2024, RG n° 22/08248
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Rappel du cadre réglementaire
Le régime de taxation du carburéacteur, défini par la Directive 2003-96 du 27 octobre 2003 et codifié, depuis le 1er janvier 2022, aux articles L. 312-48 et suivants L. 312-58 du Code des impositions sur les biens et services, exonère de TICPE le carburéacteur utilisé « pour les besoins de la navigation aérienne lorsque le déplacement est inhérent à la réalisation, par l’utilisateur de l’aéronef, d’une prestation de services à titre onéreux (…) ».
Afin d’en faciliter la mise en œuvre, l’Arrêté du 17 décembre 2015 dispose que l’exonération de TICPE est notamment ouvert aux compagnies aériennes titulaires d’un AOC1 ainsi qu’aux entreprises « ayant obtenu une attestation d’identification auprès de l’administration des douanes et droits indirects ».
Toutefois rappelle le pouvoir réglementaire, l’exonération est conditionnée « par la réalisation d’une activité commerciale caractérisée par une prestation de service à titre onéreux au moyen de l’aéronef. Ce critère est toujours apprécié au regard de l’activité exercée par l’utilisateur final de l’aéronef, qu’il en soit propriétaire, locataire, ou utilisateur à tout autre titre. » (article 1er de l’Arrêté).
C’est précisément autour de la notion d’« utilisateur final » de l’aéronef que s’est cristallisé le litige soumis au tribunal judiciaire de Bobigny.
La problématique juridique : qui de l’opérateur ou du passager est « l’utilisateur » de l’aéronef
Un opérateur qui exploite des aéronefs pour le compte exclusif de ses membres et qui n’est pas titulaire d’un AOC, sollicite de l’administration des douanes une attestation d’identification afin de pouvoir s’avitailler en France en exonération de TICPE. Ayant fourni l’ensemble des pièces requises pour l’examen de son dossier, cette attestation lui est finalement refusée au motif, principal, que l’activité de l’opérateur consiste, non pas à réaliser des prestations de transport, mais à mettre à disposition de ses membres un aéronef avec pilote.
Ce qui revient à considérer que l’opérateur exerce une activité de fréteur et que ses membres endossent, quant à eux, le rôle d’affréteur. Or conformément à la jurisprudence européenne (CJCE, n° C 250/10, 21 décembre 2011, Haltergemeinschaft LBL GbR c/ Hauptzollamt Düsseldorf), lorsque l’aéronef fait l’objet d’un affrètement, c’est l’affréteur qui est réputé être « l’utilisateur » de l’aéronef au sens de la Directive et c’est donc à lui qu’il appartient de démontrer que l’aéronef est utilisé pour la réalisation d’une prestation de service à titre onéreux.
La réponse du tribunal
Rappelant les définitions du contrat d’affrètement et du contrat de transport issues de la jurisprudence Navicon (CJCE, C 97-06, 18 octobre 2007), le tribunal reprend ensuite un par un les différents critères jurisprudentiels permettant de qualifier la prestation de transport ou d’affrètement. Au cas d’espèce il constate que l’opérateur, qui prend en location coque nue les aéronefs qu’il exploite, revêt tous les « attributs » d’un transporteur : obligation d’entretenir les aéronefs, de les assurer (corps et RC), emploi des pilotes et du personnel nécessaire à leur exploitation commerciale, organisation et coordination des vols avec les différents prestataires (handling, autorités aéroportuaires, …), autorité de l’opérateur et de l’équipage sur l’exploitation technique et commerciale de l’aéronef (notamment l’itinéraire à emprunter) et facturation des prestations en fonction de la distance parcourue. Il en conclut que les « membres » de l’opérateur n’ayant aucun contrôle sur l’aéronef, ne peuvent être qualifiés d’affréteur et que la prestation dont ils bénéficient sont bien des prestations de transport rendues par l’opérateur, utilisateur de l’aéronef.
En conséquence le juge condamne l’administration à dresser une attestation d’identification au bénéfice de cet opérateur et à lui rembourser la TICPE acquittée à l’occasion de l’avitaillement en France de ses aéronefs.
Conclusion
A notre connaissance, c’est la première fois qu’une juridiction française statue sur la qualification juridique des prestations rendues par un opérateur qui, n’étant pas titulaire d’un AOC, ne peut pas réaliser des prestations de « transport public » et doit se limiter au transport de ses membres / associés. De manière implicite, le juge rappelle que le bénéfice de l’exonération de TICPE est exclusivement lié au caractère « onéreux » des prestations rendues au moyen de l’aéronef et ne saurait être remis en cause par le fait que l’utilisateur agit au bénéfice de ses seuls associés. En cela cette décision se rapproche de l’arrêt rendu courant 2022 par le tribunal administratif supérieur d’Autriche (équivalent du Conseil d’Etat), qui a également confirmé qu’une compagnie aérienne pouvait bénéficier de l’exonération de TICPE, y compris lorsqu’elle transportait les « propriétaires » de l’avion utilisé pour le vol.
Reste que ce jugement, rendu très récemment, est toujours susceptible d’appel. Affaire à suivre …
Nicolas Fischel
Avocat
Notes :
- AOC : Air Operator Certificate (Certificat de Transporteur Aérien en français) ↩︎