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Nuisances sonores

France / Droit aérien

Couvre-feu à Nantes et Mulhouse : plus de deux années d’errance et toujours autant de questions en suspens !

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Que faut-il entendre par « vols retardés pour des raisons indépendantes de la volonté du transporteur », au sens des arrêtés portant restriction d’exploitation à NTE et MLH1 ?

C’est la question sur laquelle a été amené à se prononcer l’ACNUSA depuis deux années et celle à laquelle le Tribunal administratif de Paris vient d’apporter des précisions par un jugement du 27 juin 20242.

Tribunal administratif de Paris, 27 juin 2024, n°2323131, Xxx c. ACNUSA

Les enjeux :

Au sens des arrêtés précités qui instaurent un couvre-feu à NTE (entre 0h et 6h) et à MLH (entre 23h et6h), aucun aéronef ne peut décoller ou atterrir à NTE ou décoller de MLH pendant les heures de couvre-feu, sauf s’il s’agit de vols qui étaient programmés (entre 21h et 23h30 ou entre 6h30 et 9h00 à NTE, sans plage horaire particulière pour MLH) et « qui ont été retardés pour des raisons indépendantes de la volonté du transporteur ».

Les amendes encourues sont de 40 000 € par manquement.

La mise en place de ces arrêtés avait incité les compagnies aériennes à avancer leur programmation en vue de la saison d’été 2022 – qui correspondait à la première saison d’application des couvre-feux – afin de se donner une marge suffisante. Les compagnies aériennes estimaient alors que des retards imposés par le contrôle aérien, par des problèmes de manque d’infrastructures, de capacité d’accueil ou d’équipements dans les aéroports ou encore par l’accumulation sur une même rotation de plusieurs causes de retards mineures, pourraient justifier une exemption au couvre-feu, puisque ces événements sont, en pratique, indépendants de leur volonté. Il n’en a rien été.

Nombre de poursuites :

  • En 2019 (avant les arrêtés) :
    • 31 à MLH
    • 46 à NTE
  • En 2022 :
    • 200 à MLH
    • 231 à NTE
  • En 2023 :
    • 133 à MLH
    • 290 à NTE

Plusieurs centaines de procès-verbaux de manquement ont été émis par les agents de la DGAC au cours de la saison d’été 2022 qui ont marqué une intention claire des autorités d’interpréter strictement les arrêtés.

La DGAC et l’ACNUSA adoptent une position très restrictive :

Dès le mois de décembre 2022, l’ACNUSA se prononçait sur les premiers dossiers de manquement aux couvre-feux de NTE et de MLH appelant à une interprétation de l’exemption. Dans la foulée, elle publiait des lignes directrices en janvier 2023 (NTE) et avril 2023 (MLH), venant expliquer le cadre de son interprétation3.

A défaut de critères précis dans les arrêtés, l’ACNUSA décide de transposer la jurisprudence applicable en matière d’indemnisation des passagers. Ainsi, selon l’ACNUSA, ne sauraient être exemptés que « les vols qui ont été retardés pour des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. »

En substance la position de l’ACNUSA était alors la suivante : transposer la jurisprudence qui s’est dégagée du Règlement n°261-2004 applicable en matière d’indemnisation des passagers afin de s’appuyer sur des critères connus des tribunaux et des compagnies aériennes.

L’ACNUSA écrit ainsi dans ses lignes directrices : « il ne semble ainsi pas possible de retenir que, dès lors que la compagnie aérienne n’a pas explicitement affiché son souhait d’opérer un de ses mouvements sur la période de couvre-feu mais que, dans les faits, elle a opéré un tel mouvement, elle doit être regardée comme ayant subi un retard ou une anticipation pour des raisons indépendantes de sa volonté. Une telle lecture de l’arrêté conduirait à priver de toute effectivité la règle posée. C’est pourquoi lors de la présentation de cette règle, en amont de son entrée en vigueur, l’administration de l’aviation civile expliquait qu’il fallait la lire à l’aune de la jurisprudence sur les droits des passagers en cas d’annulations ou de retards de vols. Le collège a retenu cette grille de lecture, souhaitée par le pouvoir réglementaire qui a édicté la restriction. Ainsi, pour chaque manquement au couvre-feu en vigueur sur l’aéroport de Bâle-Mulhouse [et de Nantes-Atlantique], il apprécie au cas par cas si les conséquences des différents aléas qui ont impacté chaque mouvement litigieux examiné, au point qu’il a été opéré pendant la période de couvre-feu, auraient pu être évitées si le transporteur avait pris toutes les mesures raisonnables qui étaient en son pouvoir pour respecter ce couvre-feu. En d’autres termes, il apprécie si le transporteur pouvait, en adoptant des mesures raisonnables, contrer les conséquences sur la programmation de ses vols des différents aléas qui, par leur nature ou leur origine, sont inhérents à l’activité de transporteur aérien. »

Les compagnies aériennes contestent la légalité des amendes de l’ACNUSA :

La jurisprudence en matière d’indemnisation des passagers sanctionne des annulations de vols ou des retards de plus de 3 heures, alors que sur la base des arrêtés de NTE et MLH la DGAC et l’ACNUSA sanctionnent des atteintes au couvre-feu dès la première minute de dépassement.

Lourdement sanctionnées par une multiplicité de manquements, plusieurs compagnies aériennes opérant des vols réguliers à NTE et à MLH ont contesté, devant le Tribunal administratif de Paris, la légalité des amendes de l’ACNUSA au motif que l’ACNUSA avait appliqué des critères qui ne sont pas ceux de l’Arrêté mais ceux tirés du Règlement 261-2004. La critique a du mérite lorsque l’on sait – outre le défaut de base légale a priori évident – que la jurisprudence en matière d’indemnisation des passagers s’est développée afin de réparer le préjudice subi par des passagers qui ont subi des annulations de vols ou des retards de plus de 3 heures4 – cette jurisprudence est donc nécessairement protectrice des passagers et donc sévère à l’encontre des compagnies aériennes – alors que les dépassements du couvre-feu sont sanctionnés par la DGAC et l’ACNUSA à la moindre minute de dépassement. Il n’y a donc aucun sens à transposer comme le fait l’ACNUSA la jurisprudence du Règlement 261-2004 aux arrêtés en matière de nuisance sonore qui ont des critères propres, au seul motif que les acteurs visés par ces deux textes sont les mêmes, à savoir les compagnies aériennes.

Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 27 juin 2024 :

Tout d’abord une satisfaction, puisque le Tribunal décide d’écarter le fondement juridique retenu par l’ACNUSA : « 3. Contrairement à ce que fait valoir l’ACNUSA, il ne résulte pas de ces dispositions (c’est à dire de l’Arrêté applicable à MLH) que les raisons indépendantes de la volonté du transporteur seraient restreintes aux circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. » L’ACNUSA est donc clairement désavouée.

Ensuite, le Tribunal énonce ses propres critères et consacre une nouvelle approche : « Toutefois, lorsque le retard des vols résulte du comportement imprudent du transporteur qui n’a pas pris les mesures raisonnables pour se prémunir d’évènement fréquent ou prévisible, ce manquement ne saurait être regardé comme ayant été provoqué par des raisons indépendantes de la volonté du transporteur. »

Il poursuit en ces termes : « 4. En l’espèce, il résulte de l’instruction que pour prononcer les amendes litigieuses, l’ACNUSA a constaté que le transporteur n’a pas pris des dispositions opérationnelles pour contrer des évènements fréquents ou prévisibles inhérents à l’exercice normal de l’activité de transporteur aérien, notamment le décalage des créneaux de décollage de vols ne précédant pas immédiatement les vols ayant donné lieu à sanction dans l’ordre de rotation, une congestion au niveau du contrôle des passeports, des problèmes d’équipements des prestataires de service ou des maintenances non programmées. L’ACNUSA s’est fondée sur la circonstance que la société ‘Xxx’ a eu un comportement imprudent en n’ayant pas adopté ou tenté d’adopter des mesures d’adaptation de sa programmation initiale afin d’assurer le respect des restrictions environnementales d’exploitation et en ayant prévu une marge de maximum une heure et vingt minutes avant l’heure limite de 23 heures, l’heure de départ de son point de stationnement dès lors que cette marge ne lui a pas permis de faire face à des évènements prévisibles dans l’exercice normal de ses activités de transporteur aérien. Dès lors, la société ‘Xxx’ n’est pas fondée à contester les amendes mises à sa charge par l’ACNUSA par ses décisions du 6 juin 2023. »

Autrement dit, le Tribunal apprécie, en particulier en se référant à la programmation du vol concerné, si la compagnie a fait ou non preuve de prudence et estime qu’une marge d’1h20 n’est pas suffisante pour contrer des évènements fréquents ou prévisibles.

Au final, tout en ayant écarté l’approche juridique de l’ACNUSA, le Tribunal administratif de Paris maintient les amendes prononcées à l’encontre de la compagnie aérienne.

La position du Tribunal administratif de Paris conduit à un non-sens, et rend les réglementations en vigueur plus illisible que jamais

Critiques :

Le jugement du Tribunal administratif de Paris est critiquable à plusieurs égards :

  • Se référer à la programmation des vols de la compagnie va à l’encontre des dispositions des arrêtés de NTE et MLH puisque ces arrêtés prévoient la possibilité d’exemptions pour les vols programmés – s’agissant de NTE – entre 21h et 23h30 ou entre 6h30 et 9h00 et – s’agissant de MLH – pour des vols programmés en dehors de la plage horaire 23h-00h00. Ainsi, en estimant qu’une marge d’1h20 n’est pas une marge prudente permettant à la compagnie d’être exemptée, le Tribunal vient réduire les vols ‘exemptables’ à des plages beaucoup plus réduites : entre 21h et 22h40 ou entre 7h20 et 9h00 pour NTE et les vols programmés avant 21h40 pour MLH. Alors que les arrêtés mettent l’ensemble des vols programmés sur un pied d’égalité, le Tribunal vient rompre cette égalité en consacrant un critère qui ne devait manifestement pas être pris en compte.
  • Les couvre-feux de NTE et de MLH sont de fait avancés d’1h20, ce qui ne correspond en rien au projet qui avait été présenté aux acteurs locaux. Alors qu’il s’agit de couvre-feux en programmation qui tolèrent des exemptions, les couvre-feux de NTE et de MLH se trouvent être en pratique plus restrictifs que le couvre-feu ferme d’ORY, qui ne tolère lui aucune exemption. La position du Tribunal conduit donc à un contre-sens.
  • L’arrêté en vigueur à NTE a fait l’objet d’un arrêté modificatif, publié le 23 mai 2024, dont l’objet est d’apporter des précisions sur les critères d’appréciation des exemptions. Le Tribunal n’a aucunement tenu compte de cet arrêté modificatif. Bien qu’il ne s’applique qu’à NTE alors que le Tribunal statuait sur des manquements relevés à MLH, les réglementations sont tout à fait comparables et doivent recevoir la même interprétation. La position du Tribunal risque donc de conduire à un traitement différencié des manquements à NTE et à MLH, ajoutant un peu plus de complexité et de risques de confusion pour les compagnies aériennes.
  • Les compagnies aériennes ne sont pas plus éclairées aujourd’hui qu’avant, puisque l’ACNUSA n’a pas remis en cause ses lignes directrices. Il s’en dégage une situation particulièrement illisible puisque les compagnies se trouvent confrontées, pour une même notion, à quatre interprétations différentes :
    • A celle résultant des dispositions de l’Arrêté ;
    • A celle résultant des lignes directrices de l’ACNUSA ;
    • A celle résultant de l’arrêté modificatif de NTE ;
    • A celle résultant du jugement du Tribunal administratif de Paris du 27 juin 2024.
  • Dire qu’une marge d’1h20 n’est pas suffisante n’induit pas qu’une marge d’1h30 ou de 2h00 le serait. A ce stade, nous ne savons pas encore où le Tribunal placera le curseur de la prudence dans la programmation des vols.

Conclusion :

Plus de deux années après l’entrée en vigueur des arrêtés de NTE et MLH, leur interprétation par la DGAC, l’ACNUSA et le Tribunal reste totalement illisible, au préjudice des compagnies aériennes. En 2023, 5 millions d’Euro d’amendes ont été prononcées contre les compagnies opérant à NTE et MLH. Gageons que la Cour administrative d’appel de Paris et l’ACNUSA clarifient la situation et mettent fin à cette errance regrettable et coûteuse.

Amaël Chesneau
Avocat au barreau de Paris

Notes :

  1. NTE : Arrêté du 28 septembre 2021 portant restriction d’exploitation de l’aérodrome de Nantes-Atlantique (Loire-Atlantique).
    « Article 1er – IV.
    a) Aucun aéronef ne peut atterrir ou quitter le point de stationnement entre 0 heure et 6 heures en vue d’un décollage.
    b) Les dispositions du a ne font pas obstacle à l’atterrissage et au décollage des aéronefs effectuant :
    – des vols programmés entre 21 heures et 23h30 et qui ont été retardés pour des raisons indépendantes de la volonté du transporteur ;
    – des vols programmés entre 6 h 30 et 9 heures et qui ont été anticipés pour des raisons indépendantes de la volonté du transporteur. »
    MLH : Arrêté du 6 août 2021 portant restriction d’exploitation de l’aérodrome de Bâle-Mulhouse (Haut-Rhin) :
    « Article 1er – V.
    a) Sous réserve des dispositions spécifiques prévues au b, aucun vol commercial ne peut quitter le point de stationnement, en vue d’un décollage, entre 23 heures et 0 heures.
    b) Les dispositions du a ne font pas obstacle au décollage, entre 23 heures et 0 heure, des aéronefs effectuant des vols commerciaux, programmés en dehors de la plage horaire prévue au a, qui ont été retardés pour des raisons indépendantes de la volonté du transporteur. » ↩︎
  2. Tribunal administratif de Paris, affaire n°2323131, jugement du 27 juin 2024 ↩︎
  3. Lignes directrices – Communiqués de l’ACNUSA du 11 janvier 2023 (NTE) et 25 avril 2023 (MLH) ↩︎
  4. Arrêt de la CJUE_Nelson du 23 octobre 2012 ; Arrêt de la CJUE_Sturgeon du 19 novembre 2009, Arrêt de la Cour de cassation n°13-25.351 du 15 janvier 2015 ↩︎
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